Tisseurs de Changements : “On ne vend pas de tapis, on tisse une trame”

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Créé en 2019, le collectif des Tisseurs de Changements attire de plus en plus de monde notamment depuis la crise du Covid-19. Branche de la Fabrique du changement, le collectif a pour but de reconnecter le monde du travail à l’humain, aux émotions et au “pouvoir d’agir ensemble”. Nous sommes allés à la rencontre de Mélanie Vermeersch, facilitatrice et conférencière abordant l’intelligence collective et l’excellence relationnelle, et d’Emilie Descatoire, facilitatrice indépendante également au sein de sa structure Coopop.

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Conçue en 2013 à Nantes par François Badenes, la Fabrique du Changement a pour volonté de reconnecter le management avec le contact humain. Le premier événement avait réuni presque 150 personnes : managers, chefs de projet ou encore associations, afin de mettre en lumière ces nouvelles techniques managériales sous forme de conférences. La ville de Lille s’est saisie du projet en 2019 avec la création d’un collectif nommé début 2022 Les Tisseurs de Changements. En évoluant durant la pandémie, Mélanie Vermeersch affirme qu’ils n’ont “jamais eu autant de demandes depuis, ça a donné un coup d’accélérateur”. Les Tisseurs de Changements ne se considèrent pas pour autant comme des précurseurs et ils se veulent surtout être “inspirants”. En effet, l’innovation managériale prônée vise avant tout à la ressource et au développement de leur communauté.

Une innovation managériale pour transformer les organisations

Avec leur rôle de « hackers d’entreprises”, les Tisseurs de Changements comptent parmi leur communauté un tiers de praticiens confirmés dans le métier, un tiers de personnes en reconversion afin de devenir praticiens et un tiers de praticiens commanditaires, c’est-à-dire des personnes en poste dans des entreprises qui font appel à des professionnels. Pour autant, tous ont la volonté commune d’agir ensemble. Selon Mélanie Vermeersch, il est aussi important que les intervenants “partagent les mêmes principes et pratiques”. La plupart venant des Hauts-de-France, ils sont avant tout “vecteurs d’enthousiasme” et permettent de former et de sensibiliser de plus en plus d’acteurs “à ces approches et à cette philosophie qui est celle de l’autonomie, de la responsabilité, de la co-créativité.

Le but premier des Tisseurs de Changements est alors de dé-hiérarchiser les statuts en entreprise et de favoriser l’écoute et l’entente. On parle plutôt de “rôles” et de “responsabilités” notamment. Selon Sabine Pinkas, bénéficiaire d’un des projets, “il faut décloisonner et mettre à plat la notion de hiérarchie verticale (…) être plus dans une dynamique horizontale. Pour cela, les managers, chefs de projet, ou encore DRH apprennent au travers de formations et activités de groupe à travailler “en égalité et en dignité des contributions”. La parole circule alors de manière équitable, une grande place est accordée aux émotions et à l’énergie du groupe, et il y a une intégration importante des intelligences multiples : cognitive, émotionnelle et kinesthésique. Inspirés par la permaculture, c’est-à-dire par la faculté d’observer, les Tisseurs de Changements abordent également une “facilitation frugale” où il est nécessaire de s’adapter à chacun des groupes par atelier. Mélanie Vermeersch avance l’importance d’une “justesse de moyens” afin d’amener des choses modélisantes en faisant “bien avec peu”.

De plus, si cette innovation managériale met en avant le pouvoir d’action, il met surtout en exergue le bien-être personnel. Déjà dans leur communauté, parmi les équipes dites “tribus”, deux d’entre elles ont pour tâche de prendre soin des statuts, du collectif et des projets. La tribu care est selon Mélanie Vermeersch « l’équipe qui prend soin de l’équipe”. Le bien-être est alors le point central de l’innovation managériale prônée par les Tisseurs de Changements qui revendiquent “une sobriété heureuse”, c’est-à-dire le fait “qu’il faut qu’on accepte de ralentir, qu’on adopte une manière d’être au monde plus sobre”. Selon Emilie Descatoire, cette nouvelle manière de travailler “ressource” et apporte de nombreuses “vitamines mentales”.

Pour autant, tout ça ne s’est pas fait sans difficultés. “On a cassé la pyramide, on dilue le pouvoir”, affirme Mélanie Vermeersch. En effet, cette innovation managériale ne convient pas à tout le monde, notamment à certains dirigeants qui exercent du “social washing”. L’intégration de cette nouveauté managériale est alors très lente, aussi pour les participants. Mélanie Vermeersch ajoute : “Quand pendant des années tu as eu des gens qui te disaient ce que tu devais faire, comment tu devais le faire, à quelle heure tu devais le faire et que tout d’un coup on te met dans un atelier et on te dit “c’est vous qui allez nous dire”… Les gens sont perdus.” Pourtant selon elle, la plus grande difficulté reste encore à dépasser la culture du malheur où “l’on va pas forcément savoir s’enthousiasmer de ce qu’on réussit ». Les Tisseurs de Changements insistent également sur la contribution périphérique de groupe où “il faut accepter que chacun offre un moment où il peut”. “Tout le monde a la même valeur”, ajoute Mélanie.

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L’humain et l’environnement au coeur du changement

Le collectif ne prétend pas seulement rompre avec un modèle vertical. Il souhaite aussi solliciter et transmettre au cœur de leurs ateliers des valeurs fondamentales. C’est autour d’une affiche de communication et de jeux de mots que le collectif nous présente ce qu’il nomme sa “grande cause” : “être RE”. En somme, c’est bien l’épanouissement de chacun – tant avec soi-même que dans le rapport à autrui – qui importe au collectif. “On est des pros du temps à haute valeur humaine ajoutée”, déclare Mélanie. Les tisseurs cherchent ainsi à se réapproprier le temps pour en faire non plus de “l’argent” comme le veut le célèbre dicton, mais une satisfaction personnelle et collective.

Placer l’humain au cœur des objectifs du collectif, c’est aussi intégrer au cadre professionnel la richesse émotionnelle de chacun de ses membres. Sabine se souvient à quel point ces ateliers ont agi comme un électrochoc sur son estime de soi : “C’est un moment où l’on se prend des chaudoudoux en plein cœur ». “Ce n’est pas vrai que l’on est une personne et un travailleur, ce n’est pas vrai que lorsque l’on passe la porte, on laisse le personnel à la porte et on devient professionnel », insiste Mélanie touchée par le sujet. En effet, après avoir vécu un burn out et un AIT à l’âge de 33 ans, c’est en priorisant l’intelligence et le bien-être collectif qu’elle a su rebondir. Le collectif agit donc comme un système où chacun interagit, apprend à écouter et comprendre les émotions des autres membres, comme l’explique Mélanie : “on arrive à accueillir les choses dans leur globalité”. Le cadre des ateliers est aussi crucial afin que les membres se sentent bien et soient dans une logique de lâcher-prise et de dévoilement : “les gens se sont sentis accueillis (…) comme à la maison”.

L’objectif des membres du collectif est de se REconnecter entre eux ainsi qu’avec le développement durable et l’urgence climatique. “Ce que l’on voit et l’on ressent à l’échelle de notre entreprise et de la société, c’est l’éco-anxiété, déclare Mélanie. Dans cette situation, s’atteler à la question du bien-être individuel oblige aussi à s’intéresser au bien-être de notre planète. C’est pour cela que le collectif a rapidement mis en place des mesures afin de mieux prendre en compte ces problématiques environnementales. Par exemple, les goodies ont été interdits en 2019, permettant une réelle économie de matières premières. Sans vouloir entrer dans des débats politiques autour de la croissance économique, Emilie reconnaît que les préoccupations humaines et environnementales sont intrinsèquement liées. Agir avec plus de sobriété en se recentrant sur le bien-être des membres, cela signifie aussi préserver les ressources naturelles pour se recentrer sur l’humain. Grâce notamment à la création prochaine  d’une association, le collectif poursuit son aventure pour tendre vers son rêve : “continuer à tisser le changement”.

 

Crédits Interview : Mélanie Vermeersch, Emilie Descatoire, Sabine Pinkas par Benjamin Moindrot, Zoé Hondt et Lesly Cousin

Crédits Rédaction : Zoé Hondt et Benjamin Moindrot

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